Aristide Bianchi
Je trace au recto, au verso d’une feuille qu’ensuite j’ouvre dans l’épaisseur, presque intégralement : toujours au moins une bande de papier garde son intégrité, articule recto et verso dissociés et devient cardinale : charnière. Le dessin apparaît dans cette séparation des faces, au croisement de deux registres visuels, celui des tracés et celui des traces de l’ouverture matérielle du papier : Pour les tracés, les matériaux sont communs : encre de Chine, crayon, bic, gouache, acrylique… rien que de familier, le trait est conjointement visible et lisible. Les traces de l’ouverture marquent la surface : le papier a perdu la constance de sa texture, s’il faisait 200 gr/m2, il change à présent d’épaisseur, tantôt opaque et blanc, tantôt fin et translucide (l’ombre entre dessin et mur s’y insinue alors). Ces traces se laissent mal reconnaître : elles se voient plus (visibles, strictement) et moins (discrètes d’être insoupçonnées et quasi illisibles). La séparation réciproque des faces – recto arraché au verso et vice versa – exige leur relais : quand l’une perd des fibres (de l’opacité et de l’épaisseur) l’autre s’opacifie et s’épaissit. Alternativement. Ce geste d’ouverture-séparation du même coup redistribue les tracés, remet en jeu leurs rapports (leur lisibilité pointe le déplacement). Le dessin est suspendu au mur, fixé aux seuls angles supérieurs il bouge au vent ou au passage ; une face est pendue à son revers : séparées, latéralisées, elles continuent de se répondre et dépendent l’une de l’autre. La suspension physique marque ce lien et augmente le jeu de l’ombre entre dessin et mur. À montrer recto et verso, parfois extérieur et intérieur du papier, je ne montre pas tout pour autant, l’ombre s’en souvient — et le pli de la charnière.