Christophe Cuzin et Miquel Mont
au 22 juillet 2023
Réunis par la galerie Bernard Jordan, Christophe Cuzin et Miquel Mont ont en commun de développer un travail où la parole est à la fois frontale et pudique. Chez l’un comme chez l’autre l’autorité de l’artiste ne se joue pas sur l’identité. Les deux artistes offrent à l’observateur de prendre part à l’expérience de conception, de se saisir de la situation mise en place pour y déployer ses propres affects ; les mots sont dits, mais ils sont ouverts, partout, dans les couleurs, les aplats et les collages, les sous-textes personnels sont laissés librement à l’intersubjectivité des regards de passage.
Ici dire n’est pas faire, mais la ligne blanche qui sépare les deux artistes s’en trouve dédoublée. Cessation d’activité est à la fois une injonction et un aveu. Le flou in situ de l’un se mêle à celui de l’autre. En résulte une forte ambiguïté. Cela ne se voit pas toute de suite, mais l’exposition relève d’une forme de dyslexie.
Cuz in
Mon dit la vitrine t dit le retour
Ainsi, ce qui est dit est dit, mais ce qui est lu n’a pas forcément été dit, pas plus que l’on peut affirmer que ce qui a été dit sera lu. Tout s’éclaire, faire pivoter un pan de mur de quelques degrés n’est guère plus que lire p en lieu de d. De même, quand Miquel Mont s’émeut et retient la séquence rêvée-désirée-forcée, il ne le fait pas nécessairement en considération pour l’accord du féminin et propose plutôt un rapprochement avec l’image d’une toiture de station essence à demi effondrée. L’édifice a mis un genou à terre. On devine du texte sous la peinture jaune, on le voit mais on ne le lit pas ; l’œuvre agit comme s’il y avait un magnétisme entre les trois mots et l’image, le reste est avalé.
Il y a une mathématique de la dyslexie. Étrangement, ce n’est pas une mathématique du hasard ni de la probabilité, mais une mathématique de la proximité et de la permutabilité, ce que le rapprochement des deux artistes met en évidence. Christophe Cuzin ne choisit jamais vraiment les couleurs qu’il utilise, alors, cette fois-ci Miquel Mont s’en charge. Inversement, la frontalité des collages de Miquel trouvent une profondeur dans l’indifférence des dispositifs de Christophe Cuzin. Plus largement, cette mise en œuvre de la dyslexie comme méthode se révèle particulièrement cohérente avec la démarche des deux artistes : que leur importe la maîtrise de la grammaire quand l’élasticité de l’esprit compose pour lui-même sa propre musique.
L’accrochage s’en fait écho. Au milieu de la galerie est disposée une étagère, de celles que l’on utilise fréquemment dans les lieux de stockage. Elle contient d’autres œuvres des deux artistes. Toutes pourraient prendre place et toutes transformeraient la lecture de leurs voisines sans que jamais la lisibilité de l’ensemble ne s’en voit troublée : ce serait simplement un autre histoire. Pour Miquel Mont comme pour Christophe Cuzin si tout est affaire de choix, tout est question de lectures.
© Benoît Blanchard